Le Journal d’un homme sans importance, de George et Weedon Grossmith
Les frères George et Weedon Grossmith n’ont certainement pas réalisé l’ampleur de leur génie quand ils ont écrit Le Journal d’un homme sans importance : un journal imaginaire ayant donné vie à rien moins qu’un type humain, en l’occurrence le petit-bourgeois anglais de la fin de l’époque victorienne. Entré dans le catalogue de L’âge d’Homme en 2007, le roman a été réédité en 2019 par les Éditions Noir sur Blanc.
George Grossmith était pianiste et compositeur de chansons de music-hall ; son frère Weedon était dessinateur, acteur et auteur de vaudevilles ; en 1888, ils publiaient en feuilleton dans une revue satirique The Diary of a Nobody, repris en volume quatre ans plus tard avec des illustrations réalisées par Weedon.
Si le livre ne rencontra pas immédiatement le succès, il sera sans cesse réédité et deviendra culte au fil du temps, admiré aussi bien de George Orwell que d’Evelyn Waugh qui le tenait pour « le livre le plus drôle du monde ».
Drôle, ce journal l’est assurément, qui raconte la vie mesquine et sans intérêt de Charles Pooter, un employé modèle de la City, habitant avec sa femme Caroline dans une petite maison coquette de Holloway, dans la banlieue de Londres. Il passe la plupart de ses soirées en compagnie de ses amis Mr Cummings et Mr Gowing, il est très fier de ses blagues, se scandalise de la conduite de son fils Lupin, un bohème qui adopte une conduite excentrique (au point de porter un pantalon rayé le dimanche au lieu du frac traditionnel) et fréquente des acteurs de théâtre amateurs aux idées avancées.
Respectueux de la hiérarchie et de sa propre position sociale, Pooter est obséquieux avec les puissants et méprisant avec ses inférieurs. Invité à une soirée dansante par le Lord-maire de Londres, insigne honneur, il est humilié d’être salué familièrement par son quincailler. Pudique, d’une scrupuleuse honnêteté, son idéal de gentleman est constamment battu en brèche par les humiliations sociales qu’il subit et par la bêtise étriquée qui l’enferme dans ses certitudes et en fait un objet de moquerie universel.
Si l’on rit avec Pooter, et parfois contre lui, on est aussi touché par le personnage. Comme l’écrit son traducteur Gérard Joulié dans sa belle préface, ce petit employé sans qualité est avant tout un « innocent », c’est-à-dire, au sens propre, quelqu’un de non nuisible qui n’envisage les rapports humains que dans une forme susceptible d’en atténuer la violence. Son souci des apparences, ses principes corsetés, ne sont à ce titre que le pendant, on allait dire le prix à payer, d’une harmonie sociale à laquelle Pooter contribue largement.
Ce journal a fait rire aux éclats le XXe siècle ; on le lit pourtant aujourd’hui avec une pointe de nostalgie. A force de s’être moqué de ces petits-bourgeois qui prenaient la civilisation au sérieux, il se pourrait en effet que l’on soit arrivé à se « libérer » de toutes ces contraintes formelles qui pesaient sur