"J'ai 98 ans, 98 ! Eh bien, je ne crois pas qu'il en reste beaucoup, ils sont tous morts.
Moi, j'étais un bon petit Français qui ne demandait rien à personne. Puis un jour, on m'a dit : « Il faut aller au commissariat de police » et puis on vous met en plein milieu de la carte d'identité, on vous met le mot « juif ». Alors moi, quand j'ai été au commissariat de police et qu'ils m'ont tamponné ma carte, je suis sorti du commissariat de police et puis j'ai déchiré ma carte. C'est comme ça que je suis entrée dans la résistance.
- Vous partez le 2 juillet 1944 par ce train, vous partez donc de Compiègne ? Alors vous êtes 100, à peu près, dans un wagon ?
- Voilà. C'est-à-dire que 100 par wagon, quand les portes se sont fermées, on était pour vous donner un exemple, je ne sais pas moi, dans le métro aux heures de pointe ! Collés les uns contre les autres. Alors, une fois que les portes se sont fermées - le 2 juillet avec le soleil qui commence à taper -, tout le monde est debout, on est collés les uns aux autres. Alors on s'est dit : « On ne va pas pouvoir rester debout tout le temps. Ce n'est pas possible. » Le train ne partait pas, il faisait chaud. Donc il y avait une partie du wagon qui s'était assis et nous on était debout. Et puis au bout d'une demi-heure, on s'est dit : « L'autre, la partie qui était debout, va s'asseoir, la partie assise va se lever, etc. »
Enfin, toujours est-il que ça a duré... Je peux pas vous dire. Mais tout d'un coup, on ne sait pas ce qui s'est passé. Ils sont, ils sont devenus fous. Les gens sont devenus fous. Et puis, certains ont commencé à se battre les uns contre les autres. Pourquoi ? J'en sais rien. Enfin, se battre dans un wagon où il y a 100 personnes, quand il y en a un qui tombe, l'autre tombe dessus. Donc celui qui est en dessous, il ne peut plus respirer : il meurt. C'est-à-dire qu'au bout de, je sais pas moi, une heure, il y avait... Il y a eu dans mon wagon, il y a eu 60 morts.
Quand la moitié du wagon ne respirait plus, nous on respirait mieux. C'est-à-dire que le soir - parce que le train est parti -, on s'est dit : « Mais qu'est-ce qu'on va faire ? On va se coucher. On va se coucher où ? » Eh bien moi, je me suis couché sur trois épaisseurs de cadavres, entre une tête et un bras. Puis j'ai essayé de trouver ma place. Et j'ai bien dormi sur trois épaisseurs de cadavres.
Alors le train a continué à rouler, à rouler. Mais au bout de, je ne sais pas, une journée ou deux, tout d'un coup, le train s'est arrêté. Ils ont ouvert les portes et ils ont dit : « Les vivants descendent et les morts restent ! »
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