Bertrand Chamayou joue Véritables préludes flasques (pour un chien), recueil de trois pièces pour piano d'Erik Satie.
Sévère réprimande - Vif (sans trop)
Seul à la maison - Doucement
On joue - Aller
Que vient faire cette pieuvre au milieu des Sports et Divertissements, entre Balançoire, Réveil de la mariée, Colin-Maillard, Pêche et autres parties de Golf, Tango, Traîneau ou Tennis, liste non exhaustive ? Peut-être est-ce une simple affaire de ligne, car il faut mordre à l’hameçon. Pour point de départ, une proposition de Lucien Vogel, fondateur avec Michel de Brunhoff de La Gazette du bon ton. Composées « le matin, à jeun » selon Satie, vingt-et-une petites pièces associent musique et dessins de Charles Martin, illustrateur de la revue. « La partie dessin est figurée par des traits, des traits d’esprit, la partie musique par des points, des points noirs. » Pourquoi une pieuvre ? Il faut bien se mettre quelque chose sous la bouche après le Choral inappétissant et hargneux qui ouvre l’un des recueils insolites du Maître d’Arcueil.
Un « album de fantaisie à feuilleter d’un doigt aimable », disait Satie, inspiré chaque jour de 10h23 à 11h47 et de 15h12 à 16h07. La pieuvre est une « pièce trouble et dissonante », peut-être parce qu’on ne sait où se trouve la frontière entre ceux qui mangent et ceux qui sont mangés : « Une pieuvre dans sa grotte sous-marine taquine un crabe avant de l’avaler sur le côté. Cela donne à la pieuvre une grave indigestion. Elle boit un verre d’eau salée et se sent mieux. » Et la pieuvre de faire mets de choix, surtout si l’on se souvient que le compositeur au chapeau noir ne mangeait que des aliments blancs, navets, sucre, noix de coco, fromage blanc, sel, riz... Satie était un véritable musicien. Formé par un organiste de l’église du coin, un peu élève du conservatoire, pour beaucoup autodidacte, jusqu’à son passage à la Schola Cantorum pour y goûter la rigueur du contrepoint.
Rien de sévère néanmoins dans ses pièces ; sa musique est celle de Montmartre ; sa salle de concert, le Chat Noir. Lorsqu’il élabore un petit traité de biologie marine où sont réunis l’holoturie, échinodermes au corps cylindrique et mou mieux connu sous le titre de concombre de mer, l’énigmatique podophthalma, délicieux à ses yeux, et l’edriophthalma, crustacé à yeux sessiles, c’est-à-dire sans tige et immobile, la gravité est relative. Avec un père courtier maritime en Normandie – plus tard traducteur pour un assureur –, Satie a aimé la mer normande avant de l’apprécier de la capitale.
Comme souvent chez Satie, la partition est parsemée de commentaires, destinés à son interprète plutôt qu’à l’auditeur. Des intentions faisant comprendre au pianiste ce que la musique raconte, ici une véritable histoire avec toute une famille d’edriophthalmae, et un bon père orateur. « Très tristes de leur naturel, ces crustacés vivent, retirés du monde, dans des trous percés à travers la falaise. » Leur tristesse ramène une jolie mazurka de Schubert. Tendresse, lar