A la fois ludique et sérieux, le site www.jouwar.com veut se débarrasser des nids de poule, véritable plaie des routes libanaises.
Les routes libanaises comptent davantage de nids de poule que le Liban de cèdres. La faute aux intempéries, mais pas seulement. La faute surtout à la négligence, au manque d'entretien, à l'utilisation de matériaux de piètre qualité, à la corruption peut-être...
Depuis plus d'un an maintenant, Élie Abou Saab lutte à sa manière pour des routes plus sûres, à travers son site : jouwar.com. Créé en juillet 2010, le site référencie les nids de poule et autres trous dans les routes dans chaque région, grâce aux contributions des internautes, et entend inciter les municipalités responsables à s'attaquer au problème.
Aujourd'hui, jouwar.com en est à sa deuxième mouture, un site remanié pour plus d'efficacité.
L'idée centrale développée par Élie Abou Saab, un Libanais d'une trentaine d'années, est d'impliquer directement les municipalités. Si l'entretien des autoroutes et des routes internationales du pays relève du ministère des Travaux publics et des Transports, les autres routes sont du ressort du ministère de l'Intérieur et des Municipalités, ainsi que des différentes municipalités elles-mêmes. "Sur le site, les citoyens inscrivent tout nid de poule croisé et chaque municipalité pourra accéder à la liste répertoriée sur son territoire. Lorsque la municipalité aura réparé la route, elle postera une photo et chacun pourra juger de son travail et de son sérieux", explique Élie Abou Saab. Et si les municipalités ne disposent pas des moyens nécessaires pour réparer les routes, il a prévu un système de parrainage de nids de poule, intitulé "Adopt a joura". Après estimation du coût par des experts, le parrain pourra financer la réparation de la route et ce en toute transparence.
Également au programme de jouwar.com nouvelle version, un concours de beauté. "Miss Jouwar of Lebanon" invite les internautes à voter pour le plus beau nid de poule du pays posté par les cyber-citoyens. Partant du constat, qu'"un nid de poule célèbre est immédiatement pris en charge par les autorités, la solution est donc de tous les rendre célèbres", explique Élie Abou Saab.
C'est par un accident que l'aventure de Jouwar a commencé, il y a dix ans. "En 2002, deux de mes amis étaient en voiture. Le conducteur a évité le premier nid de poule. Le deuxième aussi. Mais au troisième, le conducteur n'a rien pu faire, et la voiture a heurté de plein fouet deux arbres plantés sur le bord de la route", raconte Élie Abou Saab. Ses deux amis ont été grièvement blessés. "Comble de l'ironie, la police est venue quelques jours plus tard demander une compensation aux deux accidentés pour les arbres endommagés", ajoute le jeune homme.
Élie, 15 ans de scoutisme et 8 ans de secourisme à la Croix rouge au compteur, a le "bénévolat dans le sang". Et la triste aventure de ses amis, l'absurdité de l'affaire, lui sont restés en travers de la gorge. Ainsi, lorsqu'il crée, en 2005, son agence web, Creapix, l'idée lui vient naturellement de consacrer un site web aux nids de poule. Une manière idéale de combiner son métier dans les nouvelles technologies de la communication et ses aspirations sociales.
L'objectif de jouwar.com est aussi que les victimes des nids de poule fassent valoir leurs droits. Pour cela, Élie Abou Saab a demandé à l'avocate Zeina Chacar de fouiller dans la jurisprudence libanaise. Au terme de ses recherches, l'avocate a recensé au moins quatre cas dans lesquels les victimes d'accident causés par des nids de poule ont obtenu gain de cause face à la municipalité concernée dans les années 1990. Le verdict est à chaque fois identique : la municipalité a manqué à ses devoirs en n'assurant pas des routes sûres.
"On a besoin de cette personne, de ce héros qui revendiquera ses droits en attaquant la municipalité responsable", martèle Élie Abou Saab. Si elles sont poursuivies en justice, poursuit le jeune homme, "les municipalités prendront conscience qu'elles ont intérêt à réparer les routes plutôt qu'à payer des compensations plus onéreuses aux victimes et ruiner leur image".