Dans son dernier livre «Il faut dire que les temps ont changé» (Albin Michel), le directeur du département d’économie de l’École normale supérieure et membre fondateur de l’École d’économie de Paris, analyse les bouleversements de la société sur ces cinquante dernières années à l’aune des transformations numériques.
«On a perdu un monde connu, celui de la société industrielle où chacun savait exactement où il habitait», regrette Daniel Cohen, soulignant le caractère inclusif de la «société salariale». «Depuis une immense frayeur traverse la société» selon l’économie, qui préfère qualifier d’«algorithmiques, cette nouvelle société communément appelée «digitale».
Faut-il pour autant s’inquiéter sur notre avenir ? «Pas forcément, l’histoire est totalement ouverte», relativise Daniel Cohen. «Il est possible qu’on soit en train de clore un chapitre de cinquante années de transition, qui ressemble à l’effondrement de la civilisation ancienne, et que nous soyons en train de reconstruire quelque chose.» Et d’ajouter qu’il y a deux voies possibles : une première, inégalitaire, dans laquelle les producteurs d'algorithmes et d’applications augmentent leur emprise sur la société ; et une seconde, inclusive, dans laquelle une nouvelle classe moyenne se constitue.
«Cette classe moyenne a été la grande perdante de ces cinquante dernières années», relève l’économiste, pointant le «phénomène de polarisation» à l’oeuvre depuis la fin des années 1960. Il ajoute qu’il faut voir dans ce phénomène de déclassement une des causes de la montée des populismes partout dans le monde.
Le grand paradoxe de cette période, conclut Daniel Cohen, c’est qu’on on a cru, en sortant de la société industrielle, dans l’espoir d’une société plus humanisée, alors qu’on renoue avec un cycle qui va déshumaniser si les algorithmes prennent trop de place dans la production et dans la consommation.»