Mes questions à Jacques Toubon Défenseur des droits

2016-05-01 7

Dans l'après-midi du 22 mars dernier, la Commission des Lois dont je suis membre, a auditionné M. Jacques TOUBON.
Voici mes questions: "Dans votre rapport, la carte de la répartition géographique des délégués du Défenseur des droits montre de grandes disparités, avec un rapport de 1 à 7 entre certains départements. Il serait intéressant de disposer également d’une carte permettant de comparer ce chiffre au nombre des affaires dont vous êtes saisis et à la population. Car ce sont sans doute aussi ces données, et non pas seulement la pénurie naturelle de l’État, qui expliquent que les délégués soient si peu nombreux ici ou là. Prise isolément, la carte peut faire croire à des injustices qui n’en sont peut-être pas.

En matière de terrorisme, vous semblez très attaché à l’instruction individuelle des affaires, un principe inhérent à nos démocraties qui proscrivent, du point de vue juridique et philosophique, l’idée de responsabilité et de culpabilité collectives. Mais après les attentats de Toulouse, de Montauban, de Paris et bien d’autres, nous avons entendu, dans le cadre de notre commission d’enquête sur le terrorisme, des victimes et leurs avocats s’étonner de ce que chaque affaire soit traitée séparément, sans possibilité de centralisation des informations, alors que celles-ci concernent des personnes qui ne peuvent être inculpées, qui sont tout au plus des témoins, mais dont on découvrira plus tard qu’ils sont eux aussi des terroristes. Comment, dans cette situation, éviter les instructions collectives ? C’est une question de droit et de déontologie. Est-ce au procureur de la République, est-ce à la police de garder en mémoire tous ceux qui ont été impliqués ou suspectés à un moment ou à un autre et dont on s’aperçoit, plusieurs années après, que l’on aurait mieux fait de les suivre à la trace ?

Notre collègue Erwann Binet est allé jusqu’à évoquer la suppression de l’anonymat du don de gamètes. Nous touchons là à une question essentielle : le principe même du don biologique dans notre tradition nationale – je n’ose dire de notre droit puisque, n’étant pas juriste, je ne le connais pas. L’anonymat est en France un trait fondamental du don, qui va de pair avec la gratuité ; certes cela nous distingue d’autres pays, mais n’est-ce pas le cas de bien d’autres choses dont nous nous glorifions, un peu trop peut-être ? Je ne vous demande pas nécessairement de réponse sur ce sujet délicat, monsieur Toubon. J’irai plus loin. La levée de l’anonymat toucherait en définitive, du point de vue du droit, à la distinction, essentielle en droit français, entre le droit du sol et le droit du sang. S’il n’y a plus d’anonymat, c’est le droit du sang qui prime. On donne aux gamètes, aux gènes, la force de la loi. Cette question n’a rien d’anodin, elle est fondamentale. Cela concerne aussi la gestation pour autrui : l’accouchement sous X protège les femmes. En levant l’anonymat du don de gamètes, du don d’organes, du don du sang, on rend les femmes coupables à vie de l’enfant dont elles auront accouché et dont elles ne sont ni la mère génétique ni la mère en droit. Dans bien des pays, en Inde, en Russie, aux États-Unis, un homme peut être le père d’un enfant qui aura eu trois mères : celle qui aura donné les gamètes, celle qui aura porté l’enfant et celle qui l’aura « réceptionné ». Je ne sais pas si j’ai très envie d’aller vers ce monde-là.

Je ne vous pose pas de question à ce sujet, car j’ai bien l’impression que vous avez envie d’être interrogé quant au fond sur ce point et que mon collègue Erwann Binet se fera un plaisir de s’en occuper. Mais j’y reviendrai, car je suis testarde !"