Jean-Roger Caussimon-Les marins-pêcheurs

2015-09-06 17

Jean-Roger Caussimon a dit un jour : « J’ai du coté maternel et remontant du coté des corsaires, toute une ascendance de marins bretons. D’abord corsaires, puis pêcheurs, Terre-Neuvas . Il m’en reste un gout d’eau salée »
Et c’est vrai qu’il y a chez lui une fascination pour la mer que l’on trouve déjà dans son apparence de « vieux loup de mer » portant la casquette et qui l’a poussé sans doute à souhaiter qu’ après sa mort en 1985 on disperse ses cendres dans un lieu magique en Bretagne qui lui était cher : la pointe des poulains ou l’actrice Sarah Bernhardt avait jadis occupé un fort.
On retrouve cet aspect de Caussimon dans cette très belle chanson injustement méconnue ou il rend hommage à ce beau métier si rude qu’est celui de marin-pêcheur Cette chanson dont la musique sublime est signée de son complice Eric Robrecht est extraite de son troisième album « musique légère » sorti en 1974 : j’ai restitué l’accompagnement de piano à partir de la version live enregistrée à l’Olympia cette année-là.

Délavés de visage et fanés de costume
Les vieux marins-pêcheurs, quand il fait soleil, sur le quai
Tètent doucettement leur pipe qu'ils allument
À la flamme géante et ridicule d'un briquet

C'est mieux que l'amadou, c'est le briquet-tempête
Un lot gagné, jadis, à la tombola du mois d'août
Ou cadeau du neveu qui, sur le "La Fayette",
A servi matelot et l'a rapporté, qui sait d'où ?

Cet objet de bazar dans une main qui tremble
Est souvenir du temps où, même en hiver et la nuit
Quand ça soufflait du Nord et de l'Ouest tout ensemble
Ils emplissaient le port de rires, d'appels et de bruit

Comme un verre fumé pour regarder l'éclipse
Le ciel était en deuil comme était en deuil l'océan
Et les marins-pêcheurs, en cette apocalypse,
Jetaient leurs filets bleus dans des ténèbres de néant

Mais chacun se disait "Il faut bien que j'y aille
J'ai bon pied, j'ai bon œil et le jour revient, à la fin"
Et de retour au port, tout scintillants d'écailles
Ils allumaient leur pipe, heureux d'avoir soif, d'avoir faim

Ils allaient boire un litre, à deux, trois camarades
Disant "À nos santés" sans imaginer que le temps
Aux portes des bistrots, se tient en embuscade
Et puisqu'il a le temps, comme un chien fidèle, il attend

Le temps, jour après jour, patiemment et sans haine
Nous vole quelque chose, un cil, trois cheveux, une dent
On met des peaux de chat et des chandails de laine
Mais, même en plein soleil, on se sent glacé, bien souvent

Les vieux marins-pêcheurs, au pied du sémaphore
Lèvent vers l'horizon un humble regard machinal
Et la mer éternelle est là, qui les ignore
Et leur barque pourrit dans le cloaque du chenal