La réforme du collège aura déjà fait, quoiqu’il arrive, des dégâts et un homme heureux. Des dégâts, parce que ceux de enseignants - de gauche - qui ont manifesté mardi dans la rue s’attendaient à tout, sauf à ce que le gouvernement - de gauche - fasse publier dès mercredi matin au Journal Officiel, dans un registre musclé qui fait songer au style du RPR de la grande époque, les décrets qui rendent la réforme en question irréversible. Silence dans les rangs.
Il y a tout de même dans cette affaire un homme… heureux, disons les choses comme cela : c’est le député UMP de l’Eure Bruno Le Maire.
Car cet énarque, ce normalien, ce germaniste - qui fut le directeur de cabinet de Dominique de Villepin à Matignon, avant d’être le ministre de l’Agriculture de Nicolas Sarkozy - aura senti le premier que cette réforme baroque et mal expliquée, mal vendue - où le défendable se mêle au très discutable - allait provoquer, quand les enseignants se sentent incompris et que tant de parents s’interrogent sur l’avenir de leurs enfants, une très grande émotion, et que cette émotion, il fallait la canaliser.
C’est ce que Bruno Le Maire a réussi en faisant d’abord voter à ses camarades de l’opposition une pétition. Thème central : non à la réforme qui nivelle. L’ancien ministre - qui s’était fait un nom en recueillant, face à Nicolas Sarkozy, 29,18% des suffrages lors de l’élection du président de l’UMP - a enchaîné en poursuivant de plus belle son tour de France ininterrompu des militants, et en multipliant les interventions médiatiques - jusqu’à son duel symbolique de jeudi soir face à Najat Vallaud-Belkacem sur Europe 1 et i-Télé. Qu’on se le dise : sur ce dossier, l’opposant n°1, c’est lui. Il a eu l’intuition, il est passé à l’acte, il a foncé.
Certes, la ministre de l’Education nationale se dit ravie, car elle aurait, grâce à Le Maire, qu’elle "remercie" ironiquement, débusqué la droite. La preuve serait donc faite que sa propre réforme est "de gauche". Et que Bruno Le Maire, qui veut en finir avec le collège unique, serait, au fond, un réac comme un autre. Réac parce qu’il combat l’égalitarisme?
Vite dit. Très vite dit. Car les opposants à la réforme viennent d’un peu partout, ce qui ne leur assure pas de la cohérence, mais interdit qu‘on réduise ce qui se passe à un énième et trop simpliste affrontement gauche-droite à l’ancienne.
La mutation de Le Maire
A 46 ans, Bruno Le Maire - à qui beaucoup voyaient un destin classique de grand serviteur de l’Etat - est en train, sous les yeux de tous, de muter. Il a fendu l’armure, et commence à ressembler à un futur chef de guerre façon Chirac. Il a quitté la France d’en-haut - dont il était jusqu’ici un représentant talentueux mais caricatural - pour écouter les Français, pour parler au peuple. Il bosse.
Enfin, il tourne le dos au politiquement correct, et dessine une panoplie originale : un discours de droite –autorité, fermeté, initiative sauf sur les questions de société. Ainsi n’a-t-il pas cédé aux pressions des anti-"mariage pour tous". En même temps, ce n’est pas un hasard, il vient, juste avant son dialogue avec la ministre de l’Education nationale, d’accorder une longue interview à "Valeurs Actuelles", où il proclame de façon amusante : "Arrêtons de nous soumettre à la pensée de gauche!"
De quoi sera fait son avenir? Premier ministre de Sarkozy en 2017 si l’élan de ce dernier n’est pas brisé par les juges, pourquoi pas? Ou peut-être mieux? Au total, c’est donc lui qui peut remercier Najat Vallaud-Belkacem, et non l’inverse : sa réforme et la façon - très autoritaire - dont elle l’impose aujourd’hui auront en effet aidé Le Maire à franchir une nouvelle étape. En l’état, hors Nicolas Sarkozy et Alain Juppé (et compte tenu des difficultés de François Fillon à trouver pour le moment un créneau et un ton), le troisième homme de l’opposition, c’est lui. Ce n’est pas rien.