Tolède, surnommée parfois la “Jérusalem de l’Occident”, garde les traces d’une page sombre du passé de l’Espagne. La péninsule ibérique fut une terre pour les juifs pendant quinze siècles, jusqu’en 1492 : les monarques catholiques espagnols ordonnèrent alors l’expulsion des Séfarades d’Espagne déclenchant une vaste diaspora qui s‘étendit de l’Empire ottoman au Nouveau Monde. Aujourd’hui, le gouvernement espagnol veut réparer ce qu’il qualifie d’“erreurr historique” : il a approuvé un projet de loi visant à faciliter la naturalisation des descendants des juifs expulsés. Les bénéficiaires de cette mesure pourraient obtenir la nationalité espagnole tout en conservant la leur.
Nous avons rencontré une journaliste uruguayenne qui compte bien faire une demande. “Obtenir un passeport espagnol, c’est comme rentrer dans notre patrie perdue,” souligne Alejandra Abulafia. “Je ne crois pas que tous les Séfarades du monde vont revenir en Espagne,” ajoute-t-elle, “ils vont simplement demander la nationalité espagnole et ensuite, rester dans leurs différents pays. (...) À l‘époque, ceux qui sont partis ont conservé les clés de leur maison comme des reliques, aujourd’hui,” dit-elle, “ils veulent ouvrir la porte du foyer de leurs ancêtres et cette porte, c’est l’Espagne.”
Jusqu‘à 500.000 demandes pourraient être faites ces cinq prochaines années. Ce qui coûterait au pays, environ 30 millions d’euros.
En attendant la version définitive du texte – son vote est prévu dans les prochaines semaines -, le secrétaire adjoint du ministre de la Justice Juan Bravo nous apporte quelques précisions. “Les demandeurs doivent être d’origine séfarade espagnole,” explique-t-il. “Le projet de loi qui doit être adopté prévoit une longue liste de critères prouvant cette origine séfarade : la connaissance de la langue espagnole, du judéo-espagnol ou du ladino, un certificat de naissance ou de mariage qui atteste du respect du “rite castillan”, un certificat délivré par les autorités rabbiniques du lieu de résidence du demandeur ou encore un certificat émis par la Fédération des communautés juives d’Espagne,” précise-t-il.
Mais que penser de cette démarche du gouvernement ? Est-ce insuffisant ? Est-ce un geste symbolique pour s’excuser ou une forme de réparation ? Et pourquoi maintenant ?
Le président des Communautés juives d’Espagne estime lui qu’il est temps d’adopter cette loi. “C’est toujours le bon moment pour réparer une erreur et pour faire en sorte que justice soit faite,” estime Isaac Querub. “Les juifs séfarades attendaient cette réparation depuis très longtemps,” poursuit-il. “Il faut aussi penser que nous vivons une période de crise, à la fois économique et politique,” déclare-t-il, “l’extrême-droite et les partis politiques néo-nazis sont en plein essor en Grèce, en Hongrie, en Finlande et en France, donc cette loi est une initiative du gouvernement espagnol qui intervient à un moment opportun.”
Faut-il s’attendre à un retour massif des Séfarades en Espagne ? En 1492, selon les historiens, au moins 200.000 juifs vivaient dans le pays. Une majorité d’entre eux a fui vers l’Afrique du Nord, le sud de l’Europe et les Balkans et depuis 1950, beaucoup de leurs descendants se sont installés en Israël. On compterait aujourd’hui 3,5 millions de juifs séfarades dans le monde dont plus de 300.000 en France. Autant de candidats potentiels à l’octroi de la nationalité espagnole.
Juive séfarade, Silka Erez a quitté Israël il y a quelques années. Sa mère est née à Jérusalem et une partie de sa famille est originaire de Slovénie. Elle est installée au sud de Madrid où elle pratique des thérapies alternatives ésotériques inspirées de la Kabbale. “Je suis déterminée à demander la nationalité espagnole, j’ai déjà fait des démarches, mais j’attends depuis cinq ou six ans d’avoir une réponse,” lance-t-elle. “Les juifs israéliens ont beaucoup de respect pour l’Espagne, ils nomment les Séfarades espagnols, les “Samj Tet”, c’est-à-dire “les Séfarades purs”,” indique-t-elle, “le ladino – la langue séfarade – est encore parlée en Israël et on l’appelle “españolit” en hébreu.”
À Tolède, cité où trois religions chrétienne, juive et musulmane ont jadis cohabité pacifiquement, nous faisons la connaissance de Paco Vara. Pour ce jeune traducteur, ce multiculturalisme a forgé l’identité espagnole. Il a découvert pour ce qui le concerne que les noms de ses quatre grands-parents sont d’origine juive. “Sur le site internet : sefardim.com, on trouve toute la liste des noms juifs et j’y ai trouvé ceux de ma famille,” raconte-t-il. “La plupart sont tirés de noms de professions et de métiers artisanaux ou du nom d’une ville : les noms en lien avec des villes comme Toledano et Cordobés,” dit-il, “ont été utilisés par les juifs pour remplacer leurs noms d’origine et masquer leur judéité.”
Alors que nous visitons l’une des anciennes synagogues de Tolède, Paco Vara évoque ses origines qui remonteraient aux juifs restés sur place en 1492 et forcés de se convertir au c