Trois niveaux de phénomènes

2014-02-27 93

PARMI NOS CINQ SENS, c’est dans notre tradition sans conteste la vue qui prime. La vue sensible, bien sûr, qui nous permet de voir ce qui se montre à nos yeux, de l’observer et le manipuler à notre guise ; mais aussi la vue intelligible, qui nous permet d’imaginer les choses dans notre esprit.

Aussi pouvons-nous distinguer trois niveaux de phénomènes :

1. D’abord le niveau sensible visible : l’arbre avec son tronc, ses branches, ses feuilles, ses bourgeons, ses fleurs, ses fruits, etc. qui sont autant d’apparences multiples et problématiques parce qu’en perpétuel devenir changeant.

2. Ensuite, par-delà celui-ci, le niveau intelligible de l’idée ; idée abstraite et schématique de l’arbre sensible ; Idée qui a pour avantage d’être de toute stabilité, beauté, bonté et vérité – et donc absolument pas problématique.

3. Enfin, last but not least – même qu’on a tendance à l’oublier et à le négliger, alors même qu’il est très important –, le niveau, sensible lui aussi, mais caché à la vue, des racines de l’arbre : réserve foisonnante, aussi obscure que mystérieuse.

Comme on ne rencontre pas le moindre problème au niveau de l’idée, celui-ci devient toujours plus important ; et même plus important que les phénomènes sensibles eux-mêmes.

Aussi, au lieu d’accompagner productivement les mouvements de la vie sensible (phusis) – mouvements d’éclosion à partir du retrait, de désir à partir du dégoût, de production à partir de la destruction –, on se réfugie dans ses idées.

On fait abstraction de la problématique réalité sensible : d’une part on écarte toujours plus la dimension du caché, du retrait, de la souffrance, de la mort ; d’autre part on transforme le visible à partir de nos idées intelligibles, pour rendre les apparences les plus idéales et les plus stables possibles.

Mais tout cela n’est pas sans conséquences : en ne vivant qu’au niveau de l’idée, on empêche la bonne évolution de la vie, selon son dessein propre. Par nos artifices, on crée des dysbalances et met en péril la bonne harmonie du tout. On provoque la révolte des forces cachées, contraintes de réagir, quitte à générer le chaos et la mort des hommes, pour rétablir l’équilibre perdu.

Qu’on se le dise : ne nous aveuglons pas dans nos idées : pour que vive la phusis, sans que ce soit la catastrophe.

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