Cric-Crac à Cayenne un Film de Pierre-Alain SAGUEZ

2013-10-08 69

Dan a 40 ans et déjà, derrière lui, vingt-quatre ans d'héroïne et
les gros bobos qui vont avec: oedème à la main, abcès à la jambe, ratiches manquantes, joues creuses, maigreur tendance Biafra. A Cayenne, où il s'est installé depuis quelques mois, il survit en faisant la manche et en s'injectant quotidiennement un minimum de deux doses d'héroïne, après avoir cherché longtemps la veine où planter sa seringue.

D'ailleurs, le reportage a tout juste commencé qu'on le voit préparer une prise et nous expliquer, sur le ton de la Cuisine des mousquetaires, comment fonctionne cette drôle de tambouille. «Le citron, acide citrique, afin d'aider à la dissolution du produit. Vérifier qu'il soit frais, et pas moisi, sinon ça peut entraîner une septicémie"» Puis, en direct, l'injection, l'héroïne qui monte, les paupières qui tombent et la caméra qui tourne. Le reste du documentaire de Pierre-Alain Saguez est de la même veine, il montre tout sans parti pris, si ce n'est celui de ne pas réduire son personnage à quelques clichés misérabilistes.

Du passé de Dan, on ne saura pas grand-chose. Quant à ce petit moment de présent qu'il partage avec nous, il le résume ainsi: «C'est une tranche de vie, à un moment donné, à un endroit donné. ça n'a rien d'extraordinaire». Sauf que le bonhomme est d'une étonnante lucidité et qu'il évoque crûment son rapport à la mort, chose finalement pas très courante à la télé. «J'effleure la mort, dit-il, je l'embrasse sur la commissure des lèvres avant de lui rouler la grosse pelle. D'un autre côté, j'ai l'impression de baiser la mort à chaque fois.» Se réveiller vivant chaque matin, après s'être un peu plus fait mourir la veille, constitue pour Dan l'ultime plaisir de l'héroïne.

La grande originalité de ce documentaire est de ne pas donner de l'héroïnomane l'image traditionnelle du zombie sans volonté. «On peut être au trente-sixième dessous, dit Dan, et garder une certaine forme d'éthique. Moi, après avoir utilisé mes seringues, je les détruis pour que des gosses ne se retrouvent pas à jouer au docteur avec.» Cric-crac à Cayenne, avec son apparente ambiance nauséeuse, réussit à échapper au voyeurisme grâce à son absence totale de préjugés. Car la vie, ça peut être aussi de vouloir en toucher le fond.